Un weekend à Paris

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Comme beaucoup sur cette planète je n’ai pas été blessée, ou n’étais pas directement sur les lieux des massacres. Mais je l’ai vécu de très près. Écrire ces mots ici est un exutoire. Pourquoi le partager sur mon blog? Parce que beaucoup de mes proches se sont inquiété pour moi me sachant à Paris.

Quand tu es Suisse, habituée à la tranquillité et au calme d’un pays qui- comme le veut le cliché- est  réglé comme un horloge, se trouver dans Paris au moment des attentats, c’est encore plus particulier. Ma première préoccupation: comment faire pour être en sécurité et être sûr que mes connaissances sont en sécurité. J’ai d’abord pensé à ma peau et à celle de mes proches.

Ces quelques jours à Paris devaient être un weekend avec mes potes, rythmé par des visites d’expositions photos. Il est devenu une immersion dans le chaos d’une ville en état de siège.

Vendredi 13, c’était une trop belle opportunité pour ces terroristes, il fallait la saisir.

19h – 22h J’étais dans un resto avec des amis dans le quartier des Halles. On décide d’aller faire une balade digestive. Passage par St Eustache, direction le centre Pompidou. Il fait doux pour le mois de novembre. Cela fait 5 ans que je viens à Paris à cette période. Arrivée devant le centre Pompidou, je décide de prendre une photo avec mon téléphone et là je vois un appel en absence de mon pote Wall qui m’héberge durant ces quelques jours. Je le rappelle.

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” Il y a une prise d’otage au Bataclan, je suis dans une cave, rentre à la maison Anne.”  “Quoi? Tu plaisantes? Tu es où?” “Au Bataclan, ils ont fait une prise d’otage avec des Kalash et là on est dans une cave, on attend. Anne, rentre” Sa voix chancelante et chuchotante me font comprendre que non, ce n’est pas une blague.

Je regarde mes amis, et je prends conscience du nombre de sirènes hurlantes autour de nous. Je préviens mon mari, resté en Suisse.

On décide de rentrer chacun de notre côté. Trouver un taxi… tu oublies. Les voitures de police tournent dans tous les sens. Déjà que nous sommes tous trop souvent sur nos téléphones, là c’est encore pire. On recherche les informations pour éviter le danger. Difficile car les terroristes tirent à l’aveugle, là où il y a le plus grand nombre.

Mon cœur bat fort, ma gorge se serre. J’ai peur pour mon pote, et pour ses potes, et les potes de ses potes, et leur famille? En même temps il règne une ambiance bizarrement calme dans ce chaos de sirènes de police. Chacun rentre chez soi.

Je prends le métro. Les gens ne sont pas loquaces pour un vendredi soir. On peut voir des regards inquiets. Le mien doit l’être.

Un homme crie dans le métro: ils ont fait péter une bombe au stade de France, prenez garde à vous.

Ma gorge se serre encore d’avantage et mon cœur frappe de plus en plus fort. Je me réfugie dans l’appart de Wall.

22:44 un ami m’appelle pour savoir où je suis. Il ne veut pas que je reste seul est décide de me rejoindre chez Wall.  Je lui dis que c’est dangereux qu’il ne faut pas qu’il traverse la ville. ” Je suis déjà dans la rue… on arrive”.

Beaucoup d’amis et connaissance s’inquiètent de me savoir à Paris et m’écrive. ” Je vais” C’est pas de moi que je me préoccupe en fait. C’est de Wall. et de sa copine SJ. SJ vient de quitter Paris. Est-elle au courant de la situation? Si oui, elle doit être dans un état d’angoisse terrible.

J’écris à ma maman pour ne pas qu’elle s’inquiète. Elle est devant l’écran en pleurs me dit-elle. ” Maman éteins la TV s’il te plait, je suis entière.”

Un ami me dit “Bois!”.

Arrivée de mes potes vers minuit et l’attente commence. J’avais reçu un sms de Wall à 23.37″ Sauf, mais passablement tétanisé.”

On fait un premier petit debriefing de la situation avec mes potes et on prend un petit pastis. On allume la Tv. Mais je ne veux pas regarder les chaîne d’actu. “Hélène et les animaux” ( ce n’est pas une blague, cette émission existe vraiment?!)  sur les flamands de la Camargue, c’est bien ça!

J’ai juste envie de me détendre en attendant des nouvelles de Wall. Il appelle sur sa ligne fixe et explique qu’ils sont dans un bar en attente d’être transférés au quai des Orfèvres pour être entendu.

On finit par regarder les chaînes d’actu. La nausée, la tristesse et l’angoisse de penser à ce que mon pote et tous les autres viennent de traverser. Comment vont-ils vivre avec ça? Pourquoi avoir fait ça?

W. est photographe et ça fait plus de 10 ans qu’il fréquente les salles de concert parisienne. Comment va-t-il digérer ces horrible événement? Comment va-t-il rentrer ce soir à la maison? Je me sens tellement impuissante.   Et SJ, partie pour le weekend? A nouveau ,est-ce qu’elle est au courant?

La boule au ventre ne me quittera plus jusqu’à ce soir dimanche 15 novembre, dans mon TGV, où j’écris ces mots dans de gros soupirs.

On attend Wall. Il arrive à 3.20. Il a faim et soif. “Je crois que j’ai besoin d’une bière. Il nous en ont même pas donné dans ce bar! ” Leffe et sandwich fromage copa.

Il n’est pas le Wall. que je connais. Ses yeux brillants et blagueurs sont éteints. Il commence à nous raconter. J’ai entendu son histoire pendant 48h de différentes manières. Ce que je vais rapporter ici ce sont mes souvenirs de son histoire.

Ils étaient trois en train de parler au fond à gauche de la partie de l’orchestre de la salle du Bataclan. L’entrée de la salle est à droite . La seule chose qui le faisait râler a ce moment-là c’était le pris du Vinyl qui était à 30 euro. Quand soudain des bruits de pétards. Il pense que c’est un effet pyrotechnique. ( il se rendra compte plus tard qu’il portait encore ses bouchons auriculaires qui ont modifié sa perception des sons).  Sans comprendre comment, il se retrouve au sol, “le nez dans le cul d’un autre” à attendre que la prochaine salve arrive sur leur tas humain. Il est dessus, il va y passer. Il essaie de présenter les parties les plus charnue de son corps espérant être simplement blessé. Les tirs sont méthodiques, 3, 4 coups. Ils s’approchent et s’éloignent à nouveau. Quand soudain quelqu’un crie: ” Debout, vite, allez-y”. Il se lève, chope son sac et court vers la sortie de secours (celle de la vidéo publiée par un journaliste sur le toit, je crois). Et là il se retrouve dans la cave de l’administration du Bataclan avec un certain nombre de rescapé sain et sauf mais aussi avec des blessés. C’est de là qu’il m’appelle. ” Anne, rentre”

3 personnes au même endroit de la salle, 3 destins différents. Sa pote est blessée par balle et évacuée, son pote a réussi à sortir avant et W. se retrouve dans une cave. ” Sauf mais tétanisé”.

Wall passera par 4 lieux différent avant de pourvoir rentrer, à pied, jusqu’à chez lui. La cave de l’administration du Bataclan, ” On n’a même pas oser boire les bouteilles de champagne qu’y s’y trouvaient, ça nous aurait fait du bien” . Puis le parvis de la poste, et un bar à 300 m de la salle. “Il nous ont servis que de l’eau” “Il avait peur pour leur chiffre d’affaires!”

L’humour revient. On sera plusieurs à lui proposer de prendre contact avec la cellule d’aide aux victimes. Il faut qu’il parle à des professionnels. Il doit se faire aider à digérer tout ça. ( et je me demande “et moi?” ). C’est éprouvant.

Il est en vie! On fini par aller se reposer vers 4h20 du matin.

7h30 samedi 14 novembre. Le vibreur de mon téléphone me réveille. Un message de ma sœur. Wall. dans sa chambre est également réveillé. Il me semble agité, son téléphone commence à émettre des notifications. Il me dira plus tard que ce matin là,  les flash ont  commencés et qu’il était vraiment en train de réaliser ce par quoi il est passé.

Pourquoi faire ce genre d’acte? Pourquoi  était-il en vie? La chance Wall. , c’est la chance. Ce n’était pas ton heure.

Depuis ce matin-là jusqu’à dimanche 15h20 je ne le quitte pas d’une semelle. Mes potes sont rentrés. Et on décide de sortir acheter de quoi manger. Il est tendu par pas mal de bruits intempestifs de la rue. Son corps lui fait mal partout, il est courbaturé. Sa position sur le sol du Bataclan lui à endolori l’épaule.

Ce samedi 14 novembre, il passera son temps à raconter son histoire, à écouter celle de ses amis, à rassurer sa famille, ses proches, ses potes et contact facebook. “Jamais je n’ai eu autant de “like” sur une publication! Je me réjouis déjà dans 2 ans quand FB me ressortira la publication!”

L’humour est de là, comme un bouclier de survie.

Sa veste a servi à protéger un blessé car les secours manquaient de couvertures. Je lui dis qu’il faut la laver s’il veut la récupérer. Mais avant de la mettre à la machine, il faut la rincer à l’eau froide, sinon l’eau chaude va fixer le sang.

Et là, c’est mon sang qui fait un tour… Le passage de la douche lui fait réaliser qu’un homme s’est vidé sur sa veste. Et moi je réalise le carnage, et les images qu’il a dû voir, et les flash qu’il doit avoir. La salle de bain sent l’albumine, le fer… cette odeur que nous les filles connaissons bien…

J’ai un peu la nausée, mais je ne dois pas lui montrer. Il a besoin de mon aide.

Cette journée, j’ai l’impression d’être “en dehors de mon corps”, j’ai l’impression d’être observatrice, d’écouter ce qui se passe de l’extérieur. Pour me protéger probablement.

Je pense à tous ces parents, enfants, amis, connaissances, qui sont touché de près ou de loin. Tous ceux qui ont perdu quelqu’un.

W. a un pote qui manque à l’appel. Il craint le pire.

L’après-midi, c’est “portes ouvertes chez W.” . Ses amis proches veulent le voir. Normal. Sa sœur vient de la province. Les questions sont discrètes et respectueuses, W. parle spontanément.

Notre départ pour aller chercher SJ à la gare fait que les amis partent à leur tour chez eux. Je n’ai jamais vu la station Châtelet les Halles aussi vide un samedi soir. On croise des militaires et des policiers.

W. pâlit, la nouvelle à laquelle il s’attendait tombe. Son pote est mort. Il laisse 2 enfants. W. réalise encore plus, des flashs lui traversent la tête, ses yeux s’humidifient. Plusieurs fois j’ai vu des larmes monter et son regard s’assombrir.

Le terrorisme c’est ça… mettre dans le regard de leur victime la terreur. Les faire vivre des moments qu’ils n’oublieront jamais. W. il faut que tu appelles la cellule d’aide.

 

Après l’arrivée de SJ et de la sœur de Wall. je me sens un peu moins seul responsable. Malgré notre présence, il est quand même seul dans sa tête. Il est le seul à avoir vécu ce qu’il a vécu. On a beau être empathique et à l’écoute, c’est lui qui à ces flashs. Comment sortir d’un tel traumatisme? Combien de temps sera-t-il poursuivi par ces flashs?

Wall promet-moi de ne pas regarder les photos et vidéos qui circulent sur le web. C’est pas bon pour ce que tu as. Les Simpson c’est beaucoup mieux!

 

On se prépare une fondue directement importée de chez moi. La fondue crée la bonne humeur!

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Dimanche 15 novembre, Wall est fatigué de parler de ça. Il répond aux questions mais a envie de reprendre une vie un tant soit peu normale.

 

Je suis dans le TGV, je me réjouis de serrer mon mari dans mes bras, de sentir mes enfants, de les embrasser sur leur tête pendant leur sommeil.

Tous ces “Pray for Paris” m’énervent. Le religieux en ce moment particulier n’a pas trop la cote chez moi.

Écrire ces lignes sur ce carnet qui était destiné à mes petites notes sur mes expos et photographes du weekend m’aide à digérer tout ce que j’ai entendu et vécu comme émotions à Paris.

Beaucoup de questions sont encore en suspens.

Quand est-ce que W. retournera dans une salle de concert pour pratiquer sa passion de la photographie? Est-ce que je devrai revenir à Paris pour passer un moment plus paisible avec mes amis?

Oui il y a aussi eu des attentats au Liban. Oui ça m’a touchée aussi. Mais comme Wall me l’a appris: c’est l’effet Mort/kilomètre. Et le Liban est en guerre. La France, pas sur son territoire.

Je n’aurai jamais fait aussi peu de photo à Paris que ce weekend.

Merci Wall, SJ, Oliv, Marc, Aurélie, Virginie, et vous tous pour vos messages et ces moments même dans ce chaos.

Avant de rentrer, on est passer à côté de l’institut médicaux légal. Policiers et photographes faisaient le pied de grue. Je me suis dit: ah ben ouais, ils ne sont pas au chômage eux, et les services funèbres non plus…

Ah oui, une petite note un peu plus joyeuse. Cat’s, la comédie musicale à laquelle j’ai assisté jeudi soir, c’était super! Je suis retombée en enfance. J’ai eu les même frissons qu’à Beaulieu dans les années 80. Tant pis pour l’interprétation française et les 2 petites fausses notes des chanteurs.

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Paris je reviendrai.

 

PS: j’ai fondu en larme en arrivant hier à 22h52 dans les bras de mon mari. J’ai fait mon état de choc vous croyez? Je t’aime Robert.

 

Wall prend soin de toi.

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http://www.wallendorff.com/belogue/2015/11/16/704/

 

 

 

 

 

 

 

 

19 réflexions sur « Un weekend à Paris »

  1. Merci Anne pour ton témoignage, moi aussi je suis ton conseil même si je n’y étais pas … arrêter de regarder ces vidéos, essayer de comprendre non plus …le terrorisme n’a pas de religion. Leur seul objectif est de déclencher la paranoïa. Ta douleur, tu la transposes à travers les mots… et ces mots sont guérisseurs…

  2. Merci Anne ( je me permets de vous appeler par votre prénom). Votre récit me fait réaliser encore plus ce qu’il a vécu…
    Je suis la maman de W.

  3. Chere Anne,
    Ton témoignage, certes terrible de par l’intensité dramatique de ces évènements vécus de près, démontre avec simplicité et efficacité à quel point l’amitié , l’amour et la solidarité, sont les véritables premiers actes réactionnaires spontanés pour tenter de faire un petit bout la nique aux comportements de ces décérébrés! Je sais bien que ça ne suffira pas à panser les plaies psychologiques et autres, vécues par les uns et les autres…mais ça m’a fait du bien de lire que quelqu’un que je connais un petit peu s’est si bien occupée d’un ami…petite échelle oui. ..mais c’est par là que tout commence! Non? …
    Je te fais de chaleureuses bises!

  4. Merci Anne,
    Merci d’avoir relaté votre atroce week-end parisien, je viens d’apprendre grâce à votre récit ce que Laurent W a vécu pendant cette horrible soirée au Bataclan.
    C’est un miraculé!!!!
    Patricia Franzetti-Magaloff ( amie de la famille Wallendorff)

  5. Tu as été dans mes pensées
    Jusqu’à ton statut qui m’a rassuré
    Que dire de plus après tout cela
    Qu’aucun ne mérite de vivre cela
    Alors mon amitié t’accompagne
    Et que la joie de vivre te regagne

  6. C’est la gorge serré et les yeux plus que humide que je finis de lire ton récit…
    C’est une bonne thérapie que de poser sur papier des moments tel que celui-ci et permets à tous de prendre conscience des répercutions de tout ça à de nombreux échelons.
    Prends soins de toi
    becs

    1. Merci Fab. Je ne voulais pas vous faire pleurer!
      Et oui les répercussions psychologique des victimes de leur proches et j’irai même jusqu’à l’humanité entière sont assez énorme. Mais on ne va pas leur faire se plaisir de céder à la peur. VIVE LA VIE.
      becs

  7. ouaw!
    Merci Anne pour ce témoignage. J’étais devant la tv vendredi soir à essayer de comprendre et en même temps d’expliquer à ma fille ce qui ce passait (j’ai viré les garçons au lits, trop petit pour regarder ces infos en live). J’ai reçu une notification FB qui m’indiquait que plusieurs de mes contacts FB étaient sur Paris mais dans une zone “sûr”. J’ai vu ton nom, je me suis dit que cette fois c’était arrivé très proche de nous, Paris à seulement quelques heures de train. Je me réjouis de te revoir!
    Prends soin de toi

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